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[Invité] « Je désirais autre chose »

Texte écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alex Safar dont le thème était « exprimer ». Bonne lecture ! – Malone Silence

Je ne sais pas ce qui m’a fait comprendre que je désirais autre chose. Au collège, déjà, je ne voulais pas être amoureux. Je ne voulais pas être en couple, et encore moins avec un garçon ; ils me faisaient peur et je sentais que, si je m’engageais de façon romantique et exclusive avec l’un d’eux, je le paierais au mieux de ma santé mentale, au pire de ma vie. C’est la peur, oui, qui m’a d’abord convaincu ; ensuite il y a eu une amitié, enfin ce que je pensais être une amitié. Ce n’était pas une amitié comme les autres ; j’ai cru, parfois, être amoureux de ce garçon, jusqu’à récemment d’ailleurs, mais non, c’était encore autre chose. C’était de l’amitié et encore autre chose – une amitié à sens unique, un amour hors normes et à sens unique, mais il était là, et avec le recul je suppose que ça m’a aidé à comprendre. Ce que je ressentais, à ce moment-là pour cette personne, et plus tard pour d’autres personnes, les autres ne semblaient pas le connaître. Peut-être est-ce parce que je suis autiste ; ma palette d’émotions et ma lecture de celles-ci ne sont pas tout à fait les mêmes, pas de même intensité, pas tout à fait de même couleur. Quand cette relation si particulière s’est achevée, j’en suis arrivé à la conclusion que j’étais fou, malsain, que j’éprouvais des choses que je n’étais pas censé éprouver, et j’ai mis de côté ce type de sentiments qui n’était connu que de moi seul, une honte à dissimuler au plus profond et sur laquelle je ne parvenais même pas à mettre de mots. Comment exprimer ça ? J’aimais, voilà tout, sans être amoureux mais j’aimais, et si je ne tenais qu’à l’amitié je ne pouvais pas aimer de cette façon. C’était un amour bizarre et incompréhensible, une anomalie, quelque chose de trop fort pour moi et surtout pour la personne qui le recevait. C’était un cadeau empoisonné, un poids supplémentaire, le poids d’un amour trop exigeant ou trop intense ou trop amour, un amour qui devrait être au moins assez possessif pour une relation de couple parce qu’aimer c’est posséder, « être en couple c’est savourer le plaisir de posséder un être humain », c’est ce que je me suis dit un jour au lycée. Je m’en souviens, j’étais assis à une de ces tables hautes au self, je regardais dehors par les vitres salies et je regardais ce couple parfaitement hétéro, populaire, blanc et assorti, et je me suis dit, d’un coup, « mais au fait, pourquoi est-ce qu’on se met en couple quand on est amoureux ? » J’ai cessé de me poser ces questions le jour où je me suis finalement mis en couple, à l’époque où je croyais encore être une fille qui aimait les garçons – ou plutôt, je ne voulais plus les poser, c’était trop douloureux, ça remuait trop de choses en moi. J’étais amoureux, oui, et ça ne ressemblait pas à ce que j’avais ressenti auparavant pour mes potes ou pour cet ami de collège. J’étais en couple, j’avais mis tous mes sentiments entre les mains de quelqu’un d’autre et… et encore, je me torturais avec toutes ces questions, et d’autant plus que je venais d’apprendre que d’autres se les posaient. Je n’avais pas encore entendu parler d’aromantisme, ce genre de chose, mais de polyamour et de non-exclusivité, si. Tout se dévoilait sur ce blog trouvé totalement par hasard, et ça me terrifiait. Ça me terrifiait parce que je n’étais pas seul. Ça me terrifiait parce que ce que je pensais être la manifestation d’un esprit malade trouvait des échos et même une logique. Ça me terrifiait parce que, pour la première fois, je découvrais qu’on pouvait changer le monde.

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